Le 30 novembre, grâce à la décision d'Emmanuel Macron, la République s'honorera de faire rentrer dans les caveaux du Panthéon le cercueil de Joséphine Baker. Danseuse, chanteuse, actrice, meneuse de revue, sous-lieutenant, résistante… Les mots manquent pour raconter les mille vies de cette femme hors du commun. Pourtant, aux yeux d'Éric Zemmour, Joséphine Baker cumule toutes les tares. Femme, étrangère, noire, résistante libre et non vichyste… Comment cette panthéonisation aurait-elle pu lui plaire?
Femme, d'abord. Comment pourrait-elle plaire à celui qui déplore la "féminisation" de la société et la "dévirilisation" des hommes des sociétés occidentales? Comment pourrait-elle plaire à celui qui appelle séduction l'emprise, qui voient des complots dans toute accusation de viol et qui considère que les femmes sont le "but et le butin de tout homme"? Comment pourrait-elle plaire à celui qui aurait aimé que les mots du fronton du Panthéon, "aux grands hommes la patrie reconnaissante", ne s'appliquent pas aux femmes?
Étrangère et noire, ensuite. Comment est-ce que la panthéonisation d'une femme d'origine espagnole, amérindienne et afro-américaine, née dans une famille pauvre du Missouri, naturalisée Française par le mariage, pourrait-elle lui plaire? Comment est-ce que la panthéonisation d'une femme, qui ne reniait rien de ses origines, qui s'est impliquée dans le mouvement des droits civiques aux États-Unis dans les années 50 et qui assumait ses différentes cultures, pourrait-elle lui plaire? Comment est-ce que la panthéonisation d'une femme qui chantait ses "deux amours", son pays natal et en même temps, Paris, sa ville adoptive, pourrait-elle lui plaire? Comment est-ce que la panthéonisation d'une femme noire, alors qu'Éric Zemmour, dans un racisme même plus déguisé, déplore l'absence de blancs dans les banlieues et le fait que l'on n'aurait "pas le droit de s'étonner du nombre de joueurs noirs dans l'équipe nationale", pourrait-elle lui plaire?
Résistante libre, enfin. Comment est-ce que la panthéonisation d'une véritable résistante pourrait plaire au falsificateur de l'Histoire qui reprend la thèse, cent fois démontée, de la "glaive et du bouclier" qui voudrait que Pétain ait été le pendant du général de Gaulle? Comment est-ce que la panthéonisation de celle qui s'est engagée dans les services secrets de la France Libre, qui combattait Vichy notamment depuis le Maghreb où elle a passé une partie de la guerre, pourrait-elle plaire au Maurrassien amnésique qui espère réhabiliter la France de Pétain? Comment, enfin, est-ce que celle qui a fait de la liberté son étendard et qui a pris tous les risques qui s'imposaient, pourrait-elle plaire à celui qui considère que le préfet Papon, qui supervisait les rafles à Bordeaux, "a été la victime de combats qui le dépassaient"?
En somme, et n'en déplaise à Éric Zemmour, spécialiste de l'assignation à résidence identitaire, c'est une femme, noire et étrangère, qui incarne les plus hautes valeurs républicaines. C'est à Joséphine Baker, et non à la France de Vichy, que la patrie est reconnaissante. C'est pour toutes les raisons qui viennent d'être invoquées que l'entrée de Joséphine Baker doit nous emplir de fierté. Qu'une femme, noire et étrangère, dans une France en guerre et dont l'Etat avait capitulé et collaborait avec l'ennemi, ait su incarner les valeurs que l'on devrait transmettre à tous nos citoyens, rend sa panthéonisation non pas souhaitable, mais nécessaire.
Alors, plus que le rabougrissement, défendons la diversité. Plus que la peur de l'autre, prônons l'ouverture à l'altérité. Plus que les fables du roman national, acceptons le difficile exercice de mémoire qui fait émerger les vraies figures de courage. Et, parce que nous choisirons toujours la France de la liberté, de l'audace et du rêve, à celle que nous dépeignent les faux prophètes spéculateurs du déclin, plutôt que le maréchal Pétain, nous choisissons Joséphine Baker!"